Avant-propos des éditeurs

Par Jean Mouttapa et Anne-Sophie Jouanneau

Le présent ouvrage est né de la constatation d’une triple nécessité : scientifique, politique et pédagogique.

Il répond tout d’abord au constat d’une lacune dans l’historiographie internationale. Alors que de très nombreux travaux ont été publiés dans différents pays sur le destin des communautés juives dans tel ou tel contexte islamique, beaucoup moins nombreuses sont les tentatives visant à donner une vue d’ensemble de l’histoire des juifs en terres d’Islam – la plus récente et la plus remarquable étant une immense entreprise en six volumes parus chez Brill en 2010, Encyclopedia of Jews in the Islamic Worlds. Mais il manquait encore une grande synthèse restituant le récit des relations entre juifs et musulmans dans une histoire globale, où intervient sans cesse le tiers chrétien puis, plus généralement, européen et occidental. Et il manquait surtout un ouvrage qui serait centré sur ladite relation, explorant les mille modalités qu’elle a revêtues.

Une telle orientation scientifique possède aussi, et nous ne le nierons pas, une dimension politique : notre conviction est que la longue durée historique, élaborée sur la base des sciences humaines et dans un esprit d’interdisciplinarité, est la seule à même d’éclairer les vicissitudes du temps présent et de contrer les représentations globalement négatives de l’autre.

Cette Histoire constitue ainsi la « biographie » d’une relation vivante et complexe, que nous avons choisi de livrer dans une perspective pédagogique. Pour servir cette visée, l’ouvrage se veut le plus accessible possible au lecteur non universitaire. Il est construit en quatre parties aisément identifiables par leur couleur dominante : trois parties chronologiques (Période médiévale, Période moderne, Temps présent) précèdent une grande partie intitulée « Transversalités », qui offre des synthèses sur les thématiques religieuses, philosophiques, artistiques ou sociologiques. Ainsi se trouvent démêlées, autant que faire se pouvait, dans cette histoire extraordinairement riche, les interférences incessantes entre diachronie et synchronie.

Nous avons souhaité que cette histoire demeure lisible tant dans la continuité que dans la consultation aléatoire. Deux modules de textes courts s’intercalent dans la succession des grands articles de synthèse : des « Nota bene » sur fond de couleur proposent des portraits ou des focus sur tel ou tel sujet particulier, tandis que des « Contrepoints », signalés par des guillemets graphiques, présentent des extraits de textes historiques. De multiples renvois à l’intérieur des textes, des encadrés de vocabulaire et deux index en fin de volume permettent de circuler dans l’ouvrage en suivant les développements autour d’un mot, d’un personnage, d’une thématique.

Le choix de composer un ouvrage richement illustré s’est inscrit dans la triple nécessité que nous venons brièvement d’exposer. Nécessité scientifique d’abord : les reproductions en marge des articles ont valeur de témoignage historique. Politique ensuite, puisqu’il s’agissait de présenter un ensemble de documents ou d’oeuvres rendant compte de toutes les dimensions de cette relation entre juifs et musulmans, attestant des antagonismes les plus marqués jusqu’aux coopérations artistiques les plus abouties, en passant par des parallèles saisissants. Pédagogique enfin, car comment mieux exercer l’oeil à lire le présent qu’en faisant le rappel des clichés – négatifs ou positifs – qui ont nourri le passé ?

Un autre fait notable donne à cette publication une dimension d’emblée internationale : le présent ouvrage, conçu et dirigé à partir de la France, paraît simultanément en langue anglaise au sein des prestigieuses Presses universitaires de Princeton. Au-delà de l’importance de cette traduction qui permettra de toucher d’autres publics (notamment dans les dizaines de pays concernés par la problématique ici traitée), ce fait révèle une singularité de l’ouvrage lui-même. On sait, en effet, que la manière anglo-saxonne d’écrire l’histoire diffère sensiblement de la manière européenne, et que chacune d’elles a influencé plus ou moins largement l’historiographie des pays dont il est ici question. Les choix des directeurs et du comité scientifiques ont permis, en l’occurrence, de mêler subtilement les styles et les méthodologies, accentuant ainsi le caractère collectif de cette aventure éditoriale.

En écho au fait que cette histoire ne cesse d’être collectivement pensée et actualisée, l’ouvrage se double d’une déclinaison numérique, qui pourra être mise à jour. Cette version comporte d’autres textes et d’autres illustrations, ainsi que des plages sonores et audiovisuelles. Les liens entre les différents articles y sont présentés de manière dynamique : un simple clic sur un mot permet de découvrir une définition, de voir tous les renvois possibles, et même d’accéder instantanément aux articles ainsi référencés. La circulation dans le sommaire est enrichie de cartes interactives. Les technologies nouvelles sont ainsi mises au service de la diffusion des savoirs académiques.
Une diffusion qui sera aussi, via le site Internet qui lui est dédié, une invitation à la contribution des spécialistes sur des sujets complémentaires et des fonds iconographiques publics ou privés. Ils pourront alors mieux partager la fécondité de leurs travaux. Le présent ouvrage se veut ainsi un commencement autant qu’un aboutissement, un socle pour de futures recherches et, espérons-le, un ferment pour de futurs dialogues.

 

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